L’éducation en Afrique ne sera plus la même après la pandémie de COVID-19

Le 16 juin est la Journée de l’enfant africain. Nous honorons aujourd’hui ceux qui ont pris part aux émeutes de Soweto, en Afrique du Sud, en 1976, ceux qui y ont perdu la vie alors qu’ils revendiquaient une éducation de qualité et égale pour tous, et tous ceux qui, à travers le monde, soutiennent le mouvement #BlackLivesMatter.

Des élèves de l'école de Nyeri au Kenya sur le chemin du retour. Avril 2017 - PME/Kelley Lynch

Ce billet est le sixième publié en 2020 dans le cadre de la collaboration entre l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA) et le Partenariat mondial pour l’éducation (PME). Cette série a été lancée en 2017.

Le 16 juin 1976, quelque 10 000 étudiants et écoliers noirs prennent part à une marche à Soweto, en Afrique du Sud, formant un cortège de près d’un kilomètre. Ils manifestent contre leurs mauvaises conditions d’études et réclament le droit à des enseignements de qualité et dans leur langue maternelle.

Le rassemblement se veut pacifique, mais la situation dégénère après l'arrivée de la police, qui intime à la foule de manifestants de se disperser avec coups de gaz lacrymogène.

La question de savoir qui a donné l’ordre de tirer n’a pas été élucidée, mais les témoignages et les photos font état de jeunes courant dans tous les sens, de plusieurs blessés et de morts allongés à même le sol. Plus de 100 personnes ont été tuées et plus d’un millier ont été blessées au cours de ces deux journées de contestation.

Pour célébrer leur courage et en mémoire des victimes, l’Organisation de l’unité africaine (qui deviendra plus tard l’Union africaine, UA) a instauré en 1991 la Journée de l’enfant africain.

Le thème de cette année, « L’accès à une justice adaptée aux enfants en Afrique », cherche notamment à consolider les droits universels à une éducation de qualité pour les enfants africains aujourd’hui et demain.

Un cadre unique : la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant

Savez-vous que l’Afrique est le seul continent disposant d’un instrument juridique de protection des droits des enfants propre à la région ? La Charte africaine des droits et du bien-être des enfants (CADBE) a été adoptée il y a 30 ans, précisément le 1er juillet 1990, et est entrée en vigueur le 29 novembre 1999.

C’est un outil essentiel pour faire progresser les droits des enfants. S’inscrivant dans la continuité de la Convention de l’ONU sur les droits de l’enfant, la CADBE met l’accent sur des questions cruciales dans le contexte africain.

Comme l’explique Dejo Olowu : « alors que, de façon générale, la Convention énonce clairement que les enfants sont des sujets indépendants disposant de leurs propres droits, la Charte souligne la nécessité d’aborder les questions relatives aux droits de l’enfant en Afrique à l’aune des expériences et valeurs culturelles africaines »

Nous recommandons la lecture de l’Article 11 de la Charte, qui est entièrement consacré à l’éducation de l’enfant africain et aux mesures que doivent prendre les États en vue de parvenir à la pleine réalisation de ce droit.

En juin 2019, 44 des 55 États membres de l’UA avaient signé la Charte et 49 l’avaient ratifiée. Nous espérons que d’ici la fin de cette année, l’ensemble des États membres de l’UA auront ratifié ce texte-cadre fondamental pour le continent, et seront donc tous officiellement tenus par les dispositions de la Charte.

Trop d’enfants africains n’ont pas encore accès à l’éducation

Selon l’UNESCO, c’est en Afrique subsaharienne que le taux d’exclusion de l’éducation est le plus élevé au monde.

Plus d’un cinquième des enfants de 6 à 11 ans ne vont pas à l’école, et c’est également le cas d’un tiers des jeunes de 12 à 14 ans.

En outre, près de 60 % des adolescents de 15 à 17 ans sont déscolarisés. Selon la Banque mondiale (en anglais) la « pauvreté des apprentissages » touche 87 % des enfants en Afrique subsaharienne et les prive des compétences fondamentales dont ils ont besoin pour s’adapter à un marché du travail de plus en plus dynamique en ce XXIe siècle.

Les filles sont encore plus en difficulté : dans toute la région, 9 millions de filles de 6 à 11 ans n’auront pas la possibilité d’aller à l’école, contre 6 millions de garçons, selon les données de l’UNESCO.

Le désavantage des filles débute tôt : 23 % d’entre elles ne vont pas à l’école primaire, par rapport à 19 % de garçons. A l’adolescence, le taux d’exclusion de l’éducation des filles est de 36 % contre 32 % pour les garçons.

Aujourd’hui, du fait de la pandémie de COVID-19, plus de 250 millions d’élèves du primaire et du secondaire ne vont pas à l’école en Afrique. Le secteur éducatif est fortement touché, et la fermeture des établissements dans bon nombre de pays africains risque d’avoir des incidences négatives sur la qualité de l’éducation.

Les personnes pauvres issues des communautés rurales, et les filles en particulier, sont les plus touchées.

Afin d’établir un panorama plus précis de la situation de l’apprentissage dans le contexte de la pandémie et de mieux aider les pays dans l’immédiat et à plus long terme, l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA) a invité en mars 2020 certains des pays africains les plus touchés à dresser un état des lieux de leurs secteurs éducatifs respectifs.

Les gouvernements africains et les principaux acteurs du secteur de l’éducation ont mis en place des mesures visant à promouvoir la continuité de l’apprentissage à la maison telles que la diffusion en ligne de modules de cours virtuels pré-enregistrés, le recours aux smartphones et aux applications mobiles, les émissions télévisées et radiophoniques, etc.

Ces stratégies sont efficaces à certains égards, mais d’une portée limitée, puisque les enfants pauvres marginalisés en sont exclus, faute d’avoir accès à un téléphone mobile, à la télé ni même à la radio.

En l’absence de solutions rapides pour y remédier, nos élèves pourraient voir leur parcours d’études fortement compromis, ce qui aura, à long terme, de graves conséquences sociales et économiques.

Une occasion d’œuvrer à un avenir meilleur

Les défis qui ont surgi avec la pandémie de COVID-19 doivent être l’occasion d’un temps de réflexion. Le système éducatif ne peut pas redémarrer comme avant. Il faut inventer une « nouvelle normalité » pour améliorer les acquis scolaires.

Les enseignants devront être formés pour monter en compétences. La technologie doit être au centre des méthodes d’apprentissage mises en œuvre dorénavant. Il conviendra de revoir les programmes pour refléter les réalités locales et les leçons pourraient ne plus avoir lieu nécessairement en présentiel. Il faudra faire participer les parents à l’éducation, et tirer parti des possibilités offertes par l’instruction à domicile.

L’éducation devra être centrée davantage sur l’apprenant que sur l’enseignant, et les enfants seront encouragés à être plus inventifs dans leurs façons d’acquérir des connaissances, afin de développer leur pensée critique et de disposer des compétences nécessaires pour le monde du travail qui les attend.

La période est propice pour que les gouvernements investissent davantage dans l’éducation et la considèrent comme un gain économique pour tout pays, sachant que ce gain sera d’autant plus élevé si le souci de l’égalité des sexes est pris en compte dès la conception du programme.

C’est le bon moment pour que tous les acteurs du secteur éducatif se rassemblent et inventent ensemble de nouvelles formes de soutien au bénéfice de l’éducation en Afrique.

Les retours positifs des investissements dans l'éducation d'un enfant sont tellement patents que nous ne pouvons plus continuer à les ignorer.

Comme l’affirmait Nelson Mandela, « l’éducation est l'arme la plus puissante que l'on puisse utiliser pour changer le monde ». Ces propos étaient annonciateurs de ce qui se passe aujourd’hui.

La pandémie de COVID-19 et les mouvements en cours pour les droits des Noirs et l’égalité de toutes les vies démontrent que le changement est inévitable.

Nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle.

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