Créer des emplois productifs pour la jeunesse africaine : un énorme défi aux implications globales

Photo: Jua Kali Worker, Nairobi

Dans un article paru dans le Financial Times (« Africa’s youth, frustrated and jobless, demand attention » [Jeunesse d’Afrique, frustrée et sans emploi, exige l’attention] le 13 avril), Mo Ibrahim – président de la Fondation Mo Ibrahim, mettant l’accent sur le leadership et la gouvernance en Afrique, a appelé à juste titre à une attention plus accrue au chômage croissant chez les jeunes Africains. L’article a examiné plusieurs facteurs qui risquent de « mal faire tourner » le « dividende démographique » de l’Afrique, y compris « ... l’inadéquation inquiétante entre les compétences enseignées à nos jeunes et celles dont a besoin le marché de l’emploi contemporain ».

De toute évidence, l’éducation doit faire beaucoup mieux pour préparer les jeunes au travail. Mais, comme je l’ai relevé dans une lettre adressée au rédacteur en chef du Financial Times (le 19 avril), les efforts actuels pour s’attaquer à l’inadéquation des compétences sont largement limités au minuscule secteur moderne de l’économie. Pour faire une véritable différence en Afrique subsaharienne (ASS), ces efforts doivent également s’attaquer aux besoins de compétences dans le secteur informel, où travaillent la plupart des gens. Ce blog s’étend sur ce thème.

  1. L’ampleur du défi qu’est le chômage des jeunes est bien plus importante en Afrique subsaharienne que dans d’autres régions. Cette situation est largement due à la juxtaposition de deux conditions de plus en plus spécifiques à l’Afrique subsaharienne, à savoir : la croissance démographique rapide continue et la très lente création d’emplois dans le secteur moderne. Entre 2015 et 2030, la tranche d’âge des 15 à 24 ans devrait, selon les projections, augmenter de 48 % en Afrique subsaharienne, contre 4 % en Asie du Sud, et baisser de 4 % en Amérique latine et de 9 % en Asie de l’Est. En outre, quoique l’urbanisation demeure faible en Afrique subsaharienne, elle connaît une accélération (passant de 40 % en 2015 à 47 % à l’horizon 2030). Ce facteur s’ajoute à la demande croissante d’emplois en milieu urbain.

    Les personnes qui feront leur entrée sur le marché du travail à l’horizon 2030 sont déjà nées. Ainsi, la seule manière d’agir sur l’offre est d’améliorer l’employabilité des individus. Et, le secteur informel demeurera le principal employeur, y compris pour la plupart des diplômés de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur. En conséquence, les efforts visant à créer des emplois doivent accorder une plus grande attention à l’investissement dans ce secteur, y compris à la formation pertinente pour les emplois du secteur informel. Cette approche permettra d’améliorer l’aptitude des jeunes à trouver des emplois/créer leurs propres emplois, d’accroître leur productivité et de faciliter leur accès à des emplois plus productifs plus en haut de la chaîne de valeur.

    En ce qui concerne la demande de main-d’œuvre, la transformation des économies doubles de l’Afrique subsaharienne n’en est qu’à ses débuts : 80 à 90 % de la population active demeurent engagés dans le secteur informel de l’exploitation agricole et de l’entreprise ménagère. Même dans un pays à revenu intermédiaire comme le Nigeria, en 2011, 86,5 % des personnes employées l’étaient dans le secteur agricole informel (57,6 %) et le secteur non-agricole (28,9 %). Près de 33 % de la population active n’avait jamais été scolarisée, proportion atteignant 45 % dans le secteur de l’agriculture. En moyenne pour l’Afrique subsaharienne, la part d’emploi du secteur de la manufacture est restée autour de 6 % au cours des trois dernières décennies.
     
  2. Le défi est multisectoriel. Il n’existe pas de solution rapide axée sur « l’éducation uniquement ». Cela dit, des améliorations radicales en matière de survie, de qualité, de pertinence et de couverture de l’éducation sont essentielles. En moyenne, seuls environ 60 % de ceux qui ont démarré l’enseignement primaire achèvent leur cursus scolaire (données inchangées depuis les années 70) et pour ceux qui l’achèvent, une faible proportion acquiert les compétences de base en lecture et en calcul (seulement 40 % en moyenne pour les 10 pays francophones couverts dans l’enquête du Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la COFEMEN (PASEC) de 2014). Si l’on ajoute à cela le fait qu’un enfant sur cinq en âge d’aller à l’école n’est pas scolarisé, cela représente conjointement un échec massif du développement des compétences de base, en particulier dans les zones rurales.

    En ce qui concerne la pertinence et la couverture, le taux de changement élevé des jeunes d’Afrique subsaharienne reflète largement l’incapacité à créer des emplois. Cela dit, « l’inadéquation des compétences » constitue un problème sérieux. Les pays s’y attaquent principalement en rendant l’enseignement et la formation techniques et professionnelles ainsi que l’enseignement supérieur plus en phase avec les emplois dans le secteur moderne. Toutefois, « l’inadéquation des compétences » la plus grave découle des politiques de formation qui négligent, pour la plupart, les besoins de compétences dans le secteur informel. En conséquence, certes la plupart des diplômés de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur se retrouvent dans des emplois pour lesquels ils sont « surqualifiés », tel qu’illustré par les chiffres cités ci-dessus pour le Nigeria, et une part importante de la main-d’œuvre agricole est illettrée. Et, certes l’Afrique subsaharienne doit en évidence développer les compétences d’enseignement post-niveau de base nécessaires pour soutenir le développement national, mais le marché du travail, en particulier pour les compétences de niveau tertiaire, est très faible. Par exemple, une étude récente pour le Ghana a relevé que moins de 2% du nombre approximatif des 250.000 diplômés de l’enseignement supérieur entrant sur le marché du travail chaque année ont trouvé des emplois dans le secteur moderne (Ansu, 2013).

    Ce défi plus général de « l’inadéquation des compétences » appelle à une mise à niveau majeure des compétences dans le secteur informel. Vu le faible niveau du capital humain de base, en particulier dans le secteur rural, il s’agit-là d’une tâche massive et complexe. Les prestataires de services de formation dans le secteur public répondent souvent de façon inadéquate aux besoins et conditions particuliers dans ce secteur. Par ailleurs, en plus des compétences d’alphabétisation, de calcul et de techniques de base pour renforcer l’aptitude des jeunes à devenir des entrepreneurs et des innovateurs, ils doivent également acquérir les compétences fondamentales et professionnelles du « 21e siècle ».
     
  3. Le développement de l’agriculture renferme la clé pour résoudre nombre des défis de développement de l’Afrique subsaharienne, y compris la création d’emplois. Plusieurs rapports récents appellent à s’attaquer à la négligence générale de ce secteur depuis le début des années 90. Par exemple, le Rapport 2014 du Panel Progrès en Afrique, dirigé par Kofi A. Annan, lance un appel aux gouvernements (p.83) « …à relâcher le frein qui a fait entrave à la croissance agricole. Cela signifie investir dans l’infrastructure, lever les barrières au commerce régional et appliquer les leçons tirées de la science pour adopter une Révolution verte africaine exclusive ». De même, le « Rapport sur la transformation de l’Afrique » de 2014 du « Centre africain pour la transformation économique » basé au Ghana met l’accent sur le rôle clé que joue la productivité agricole accrue dans le processus d’industrialisation. Mais, encore une fois, pour accroître la productivité, il faudra des investissements massifs, y compris le perfectionnement des compétences à tous les niveaux, en allant du renforcement des compétences de base des agriculteurs pratiquant l’agriculture de subsistance à la capacité de recherche agricole.

    Outre la création d’emplois, l’amélioration de la productivité agricole constitue également une condition préalable pour l’atteinte d’autres objectifs clés de développement, tels que l’amélioration des rendements agricoles, des revenus ruraux et de la sécurité alimentaire. Le Rapport mondial sur le suivi de l’éducation de 2016 relève (pp. 45-46) qu’en Chine « ... la croissance agricole est estimée avoir été trois fois plus efficace pour réduire la pauvreté entre 1980 et 2011 comparativement à la croissance dans d’autres secteurs de l’économie. Des magnitudes similaires sont identifiées dans les études examinant d’autres régions en développement », dont 3 à 4 fois dans certains pays d’Afrique subsaharienne.
     
  4. L’éducation doit renforcer sa capacité à améliorer l’employabilité des jeunes. Ce problème a occupé une place prépondérante dans la récente conférence phare sur l’éducation et la formation de l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA) (15-17 mars 2017, Dakar, Sénégal). Peut-être de façon plus ferme que lors de toute autre conférence antérieure de ce genre, les ministres africains de l’Éducation et d’autres responsables de haut niveau ont appelé à des réformes pour mieux aligner les programmes éducatifs sur les réalités économiques, sociales et culturelles nationales. Ce facteur est important. Les pays doivent redéfinir les priorités en matière d’éducation pour mieux desservir les grands groupes de population et les secteurs économiques qui bénéficient peu des dépenses consacrées à l’éducation (y compris l’aide). Pour développer les compétences de base des personnes qui n’ont même pas bénéficié de l’enseignement primaire – et qui joignent difficilement les deux bouts dans le secteur informel où l’on trouve des emplois à faible productivité – une phase de développement de base que les pays d’Afrique subsaharienne ne sauraient « passer outre ».

Birger Fredriksen est un chercheur senior à Results for Development et un expert de premier plan en matière de développement de l’éducation dans les pays en développement.

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Le blog original a été publié et est disponible sur le site web de NORRAG Newsbite (en anglais)

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