Comment prendre en compte les langues maternelles dans les systèmes éducatifs nationaux ?
Le 21 février est la Journée internationale de la langue maternelle
Pour les pays africains, introduire les langues maternelles dans les systèmes éducatifs nationaux peut favoriser à la fois l'égalité des chances et le succès de tous les enfants, tout en améliorant la qualité de l'éducation. Mais, il existe plusieurs obstacles à la mise en œuvre intégrale de l'enseignement de la langue maternelle.
Ce billet de blog est le troisième d'une série de collaborations entre l'ADEA et le Partenariat Mondial pour l'Education (GPE).
La Journée internationale de la langue maternelle proclamée par la Conférence générale de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) en novembre 1999 – est célébrée chaque année le 21 février afin de promouvoir la diversité linguistique et culturelle ainsi que le multilinguisme.
La diversité linguistique et culturelle de l'Afrique
La question des langues maternelles a toujours été diversement appréciée, notamment lorsqu’il s’agit de leur prise en compte dans les systèmes éducatifs des pays évoluant en contexte multilingue. La diversité linguistique et culturelle de l'Afrique demeure une richesse et représente un potentiel qui peut maximiser la créativité et les compétences africaines dans les activités de développement, pour peu que cette diversité soit effectivement perçue de manière positive et bien gérée.
Plusieurs rencontres de haut niveau ont conclu à la nécessité et à l'urgence pour les États africains d’adopter des politiques précises concernant l'utilisation et le développement des langues maternelles.
Rappelons à cet effet la Conférence intergouvernementale des Ministres sur les politiques linguistiques en Afrique organisée en mars 1997 à Harare (Zimbabwe) par l'UNESCO, l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et l’Union africaine (UA); et la Conférence Africaine sur l’intégration des langues africaines et cultures dans l’éducation en janvier 2010 à Ouagadougou, Burkina Faso.
L’UNESCO avait souligné dès 1953 l’importance d’éduquer les enfants dans leur langue maternelle. Le rapport mondial de suivi sur l’éducation pour tous (EPT) de 2005 avait également souligné le fait que le choix de la langue d’enseignement et de la politique linguistique dans les écoles jouait un rôle essentiel dans l’efficacité de l’éducation. Par ailleurs, dans une étude décisive sur la qualité de l’éducation en Afrique menée par l’ADEA en 2004, le facteur linguistique s’est avéré être l’un des facteurs de qualité les plus déterminants.
Les défis majeurs pour les pays africains
Quelles sont les attentes majeures de cette politique linguistique pour les pays ? Quels enjeux pour l’utilisation des langues maternelles dans les systèmes éducatifs nationaux ? Dans quel but utilise-t-on les langues maternelles dans l’éducation ? Quels sont les avantages et les principales difficultés ?... Autant de questions qui se posent au quotidien.
La mise en œuvre d’une politique linguistique en matière de promotion des langues maternelles est un défi majeur pour la majorité des pays africains. Peu d’actions vigoureuses ont été menées, depuis les indépendances, en vue de l’adoption explicite du statut, c'est-à-dire préciser la situation ou position des langues en présence, les garanties accordées à chacune d’elles, à travers des textes ou dispositions légales et réglementaires. Le constat dans la plupart des pays est que la langue officielle, celle qui est reconnue par la loi comme langue de travail de l’administration et des actes officiels, est restée la langue du colonisateur.
Le qualitatif de « langue nationale » qui est souvent attribué à toutes les langues maternelles est symbolique. Il n’apporte rien en ce qui concerne le statut desdites langues.
La définition exacte de langue nationale varie selon les pays.
Dans certains pays, une langue peut avoir un statut de langue nationale reconnue par la loi ; dans ce cas, ce statut peut être assorti d’une définition légale ou de critères d’attribution de ce statut. Dans d’autres pays, la notion de langue nationale se confond avec celle de langue officielle.
En matière de politique linguistique, les pays ne sont pas tous au même niveau. Les défis auxquels ils sont confrontés, relèvent à la fois de la volonté politique, de l’expérience technique et du développement des capacités pour s’engager résolument dans la nécessaire réforme des politiques et des pratiques d’utilisation des langues maternelles dans l’éducation.
On peut toutefois affirmer que de nombreux pays en Afrique disposent d’une législation des langues. Ceci indique que des efforts sont progressivement fournis en faveur des langues locales, notamment dans le cadre de la recherche, des expérimentations et de l’alphabétisation.
Le cas du Burkina Faso
Au Burkina Faso, la loi d’Orientation de l’Éducation de 2007 indique à son article 10 que « les langues d’enseignement utilisées au Burkina Faso sont le français et les langues nationales aussi bien dans la pratique pédagogique que dans les évaluations ». Par ailleurs, le gouvernement a validé en 2010 une politique éditoriale qui valorise et encourage la production en quantité et en qualité de documents en langues nationales. Diverses autres stratégies de promotion des langues maternelles peuvent se constater à travers la traduction des référentiels et autres actes majeurs de l’État en langues maternelles, des panneaux d’adressage devant les services et autres lieux publics, etc.
En d’autres termes, l’action explicite des États sur le statut et les fonctions des langues maternelles est fondamentale dans l’orientation des actions de réformes scolaires par exemple, et peut mieux stimuler la recherche en la matière.
En effet, dans le cadre de la réforme des systèmes éducatifs, caractérisée dans plusieurs pays par l’approche bilingue (langues locales en articulation avec les langues étrangères), l’élaboration de nouveaux curricula pourrait être plus transparente et plus porteuse si cette action était soutenue par une politique linguistique explicite.
Langues intra-ethniques et langues inter-ethniques
Du point de vue des fonctions des langues maternelles, on peut globalement distinguer les langues intra-ethniques et les langues inter-ethniques, qui occupent principalement la fonction de communication étendue, la fonction d’enseignement et la fonction religieuse. En ce qui concerne la fonction d’enseignement : l’utilisation des langues maternelles dans les systèmes d’éducation dépend des options de chaque pays et des objectifs visés qui établissent souvent un lien avec la qualité des apprentissages, la sauvegarde de l’identité culturelle, etc.
Pour un certain nombre de cas, les langues maternelles sont introduites comme matières et véhicules d’enseignement, en articulation avec d’autres langues, notamment celles étrangères.
D’ores et déjà, il convient de tirer des leçons des réformes antérieures entreprises dans ce sens, et de savoir anticiper sur les implications d’ordre technique et politique, notamment la formation pédagogique des enseignants, la disponibilité des manuels et matériels didactiques, le choix de la/des méthode(s), et l’adhésion des communautés et des autorités administratives et politiques.
L’introduction des langues maternelles dans les écoles pour favoriser l’apprentissage
L’option d’introduire les langues maternelles dans le système éducatif se fonde sur des éclairages d’ordre psychopédagogiques et andragogiques. L’objectif majeur de ce choix étant de faciliter les apprentissages de base. L’élève apprend mieux et plus vite dans une langue qu’il/elle maitrise.
L’introduction des langues maternelles dans les systèmes éducatifs nationaux permet d´une part, d’offrir une égalité de chance et de réussite à tous les enfants et d’autre part, d’améliorer la qualité de l’éducation.
Une telle innovation valorise la culture nationale par la promotion des valeurs culturelles positives et constitue à la fois un facteur d’accélération et d’amélioration de l’offre d’éducation.
L’idéal serait de donner la possibilité à toute langue déjà décrite et bien dotée (c’est-à-dire qui a fait l’objet d’études systématiques dans les aspects phonétiques, prosodiques, phonologiques, morphologiques, syntaxiques, lexico-sémantiques, et graphiques) d’être une langue d’alphabétisation ou d’enseignement de base.
La dotation desdites langues concerne la mise à disposition de l’alphabet et des règles de transcription de la langue, des documents de grammaire, des lexiques de base, des lexiques spécialisés, des dictionnaires, des manuels, des ouvrages culturels, scientifiques, techniques et technologiques.
Elle intègre également les nombreuses possibilités d’usages qu’offrent les technologies de l’information et de la communication (TIC). Il s’agit entre autres de l’élaboration, la validation et la mise en ligne de lexiques thématiques de termes scientifiques et techniques, de référentiels de grammaires et d’orthographes dans les langues maternelles enseignées.
Une telle dynamique s’inscrit en droite ligne de la diversification des choix éducatifs, pour un apprentissage plus dynamique tout au long de la vie et contribue à l’atteinte des objectifs du Programme universel 2030 et de l’Agenda 2063 pour l’Afrique en matière d’’éducation et de développement.
Une suggestion
Nous sommes conscients de la difficulté de promouvoir toutes les langues maternelles d’un pays au même rythme dans l’enseignement, surtout en ce qui concerne les niveaux secondaires et supérieurs. Un adage dit qu’à « vouloir donner tout à tout le monde, on risque de ne pouvoir rien donner à personne ».
Une des stratégies consisterait à commencer par certaines langues, sans que ce choix ne suive un principe d’exclusion, avec le risque de remplacer le monolinguisme colonial par un monolinguisme africain. Mieux, il faut prévoir dans le processus un schéma d’aménagement linguistique qui permettrait aux autres langues d’intégrer de manière progressive et maitrisée les différents niveaux d’enseignement.