Afrique : Comment l’éducation technique et professionnelle peut aider à répondre aux futures pandémies ?

Alors que nous célébrons la Journée mondiale des compétences des jeunes, faisons le point sur les compétences prioritaires des jeunes africains au milieu de la pandémie de COVID-19, et notons comment la filière pourrait être repensée et adaptée pour assurer une meilleure résilience aux crises futures.

Fabrication de visiere de protection au Fab Lab d’Abobo, à Abidjan (côte d'Ivoire) – Avril 2020. ADEA

Ce billet est le 7e publié en 2020 dans le cadre de la collaboration entre l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA) et le Partenariat mondial pour l’éducation (PME). Cette série a été lancée en 2017.

L'augmentation du chômage des jeunes constitue un sérieux défi pour tous les pays, aussi bien développés et en développement. Au moins 475 millions de nouveaux emplois doivent être créés au cours de la prochaine décennie pour absorber les 73 millions de jeunes actuellement au chômage et les 40 millions de nouveaux entrants sur le marché du travail chaque année.

L’Agenda 2030, l’Agenda 2063 pour l’Afrique et la Stratégie continentale de l'éducation pour l'Afrique (CESA 16-25) accordent une attention particulière au développement des compétences techniques et professionnelles, en particulier en ce qui concerne l'accès à un enseignement et une formation technique et professionnelle (EFTP) de qualité ; l'acquisition de compétences techniques et professionnelles pour l'emploi, le travail décent et l'esprit d'entreprise.

Depuis que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré le COVID-19 comme une pandémie, les pires scénarios ont été annoncés pour l’Afrique. En prévision de cela, les pays africains ont pris des mesures nationales allant de la fermeture de leurs frontières à la fermeture des écoles et centres de formations afin d’éviter la propagation du virus.

Le Pôle de qualité inter-pays sur le développement des compétences techniques et professionnelles (PQIP-DCTP) de l’ADEA a cherché à comprendre la portée de la crise sanitaire sur l’enseignement et la formation technique et professionnelle dans cinq des pays membres du PQIP, à savoir le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la Tunisie et la République démocratique du Congo (RDC).

E-Learning : une opportunité pour l’EFTP en Côte d’Ivoire

En Côte d’Ivoire, l’opération « écoles fermés, mais cahier ouverts » a été lancé en fin mars 2020 et se poursuit malgré la réouverture en mai 2020 des écoles et centres de formation sur toute l’étendue du territoire. Cette initiative concerne aussi bien l’enseignement général que l’enseignement technique et professionnel et vise à assurer la continuité de l’éducation sur tout le territoire ivoirien malgré la crise sanitaire que traverse le pays.

Au niveau du Secrétariat d’état chargé de l’EFTP de la Côte d’Ivoire, plusieurs mesures ont été prises pour assurer la continuité des formations, notamment la mise en place d’une plateforme pédagogique en ligne dénommée Ma formation en ligne. Cette plateforme accessible gratuitement met à la disposition des apprenants de toutes les filières et tous les niveaux de l’EFTP des cours et des exercices en ligne.

À ce jour, 895 cours sont disponibles sur cette plateforme qui continue d’être enrichie ; un fora permettant aux enseignants d’interagir avec les apprenants et un centre d’assistance technique (ou Call Center pour guider les utilisateurs de la plateforme) sont opérationnels même après la reprise des cours depuis mi-mai dans l’enseignement général et technique.

Pratiques en vigueur et difficultés observées au Cameroun, en RDC et au Burkina Faso

Si l’enseignement général s’est un peu adapté à la situation, la continuité de la formation professionnelle est restée problématique dans l’application des solutions proposées par les ministères en charge de la formation professionnelle. En ce sens que même si l’opportunité permettait de faire la promotion du e-Learning, la non-préparation des acteurs du sous-secteur n’a pas créé un grand engouement autour des initiatives.

Ce serait aussi sans compter avec les coûts liés à l’accès à internet et le manque de formation des apprenants sur ces outils en ligne. Dans la plupart de ces pays, les cours ont effectivement repris en juin dans la formation professionnelle. Toutefois, aucune mesure spécifique n’a été prise en rapport avec la formation technique et professionnelle et toutes les structures de formation restent fermées.

Cette crise a révélé que le sous-secteur de l’enseignement technique et de la formation professionnelle n’était pas suffisamment préparé à faire face à des situations de crise et qu’il a été bien plus facile d’assurer l’éducation de base que la formation professionnelle durant la crise.

Le lien entre l'éducation de base et la formation professionnelle reste étroit et ce constat met en relief l’importance pour les pays africains d’introduire dans l’éducation de base des modules et des pistes de liaison aux différentes formations professionnelles, afin de préparer les jeunes apprenants au marché du travail ou de leur permettre de développer les compétences dont leur pays a réellement besoin pour développer l’économie et gérer des crises.

COVID-19 : Une opportunité d’expression de la créativité des apprenants en EFTP

La crise sanitaire aura permis de déterminer les faiblesses et les actions urgentes à entreprendre pour assurer une plus grande contribution de la formation professionnelle et technique à la gestion des crises. Ce sont entre autres, la digitalisation des salles de classe, la mise en place de plans d’urgence pour assurer la continuité de la formation en cas de crise, la création ou mise à jour des curricula de formation adaptés aux besoins et aux contextes des pays africains, ainsi que le soutient à l’autonomisation des jeunes apprenants porteurs de solutions innovantes durables dans le domaine de la santé.

Pour les jeunes des filières de l’enseignement et la formation technique et professionnelle au chômage, le coronavirus est apparu comme une opportunité de faire preuve de créativité et d'innovation et de proposer leurs aides à la résolution des problématiques liées à la gestion de la crise au plan communautaire et national.

En Côte d’Ivoire, des jeunes entrepreneurs ont présenté aux autorités en avril l’initiative "COVID-19", une solution innovante pour faire face à la pandémie du coronavirus grâce à l’usage de drones dans la prévention et la sensibilisation contre la propagation du virus.

Au Burkina Faso, les jeunes ont joué un rôle important dans l'atténuation des risques et la sensibilisation des communautés grâce à de multiples initiatives. Afin de lutter contre la désinformation sur la pandémie et sa propagation, les associations de jeunes accompagnées par le bureau pays du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) ont mis à disposition des jeunes burkinabés sur la plateforme interactive QG JEUNE des outils pour promouvoir des comportements sains et le partage d'informations justes.

En Tunisie, des initiatives de solidarité ont émané d’une manière spontanée de la part des centres de formation professionnelle qui sont venu en aide aux hôpitaux et structures locales (municipalités, administrations locales, etc.) via la confection de bavettes et de masques de protection par les personnels et stagiaires.

Dans plusieurs autres pays africains, ce sont bien les apprenants issus des écoles professionnelles et techniques (couture, soudure, électronique, menuiserie, etc.) qui ont démontré leur génie en prenant plusieurs initiatives, allant de la confection de masques réutilisables à la création de pompes à lavage des mains avec des mécanismes pédestres, ou la confection de visières et de cabines de désinfection, avec ou sans l’aide des nouvelles technologies.

Incorporer les nouvelles technologies dans la formation

Avec le développement des nouvelles technologies de communication, il devient plus facile d’acquérir des savoirs et des compétences avec un minimum de suivi par des cours en ligne, des correspondances et des capsules vidéo et audio. De plus en plus de jeunes sont devenus autodidactes et autonomes grâce à ces outils par lequel ils ont favorisé l’émergence des « Start up » en Afrique.

En ce sens, pour renforcer la contribution de l'EFTP à la transformation économique de l'Afrique, les jeunes apprenants dans ce domaine doivent avoir l’opportunité d’explorer leurs potentiels avec l’aide des outils digitaux et matériels de pointe afin de s’aligner au niveau des apprenants des pays développés.

Ceci nécessite une mise à jour des curricula de formation et une réforme des pratiques éducatives dans l’EFTP pour laisser une grande place à l’initiative personnelle et à la créativité des jeunes apprenants. Dans ce schéma, l’enseignant, qui lui-même serait également formé aux outils digitaux et à la formation à distance, deviendrait un genre de coach-formateur et conseiller pour ses apprenants. Le mode d’évaluation pourrait être axé sur l’évaluation des projets développés par l’apprenant seul ou en groupe par exemple.

Mais, il faut retenir que la réalisation de cette réforme des pratiques devrait être portée par une forte volonté des acteurs de la filière et les différents gouvernements africains.

Investissons dans l’EFTP pour le bénéfice de nos économies

La pandémie devrait enfin encourager les pays à augmenter leur volonté politique pour l’opérationnalisation des plans de développement d’EFTP. De plus, il est d’une grande nécessité d'intégrer des plans de riposte aux crises et autres catastrophes dans les mécanismes de gestion des centres et dans l'exploitation des technologies de l'information et de la communication pour assurer la continuité pédagogique dans l’EFTP et sa contribution aux réponses lors de crise sanitaires et même économiques.

Cette crise sanitaire aura révélé les limites de l’offre de l’EFTP mais elle est également une opportunité de montrer l’utilité de ces formations pour la jeunesse africaine et pour la gestion des crises sanitaires.

Dans ce contexte, l'EFTP devrait répondre aux multiples demandes de nature économique, sociale et environnementale en aidant les jeunes et les adultes à développer les compétences dont ils ont besoin pour l'emploi, le travail décent et l'esprit d'entreprise, en favorisant une croissance économique équitable, inclusive et durable et en soutenant les transitions aux économies vertes et à la durabilité environnementale.