Le réseau LEAD : une solution pour le partage efficace de connaissances dans le domaine de l’éducation

Photo: Results for Development (R4D)

Nous sommes confrontés à travers le monde à une crise d’apprentissage. En effet, 617 millions d’enfants, d’adolescents et de jeunes scolarisés n’atteignent pas les niveaux minimums de compétences en lecture ou en mathématiques. En Afrique subsaharienne, 85% des enfants scolarisés ne maîtrisent pas ces compétences fondamentales. En Afrique de l’Est, « les compétences en lecture et en calcul sont généralement faibles, varient d’un pays à l’autre et n’ont affiché aucun signe manifeste de progrès au cours de cinq dernières années ». Et, en Afrique francophone, près de 60% des élèves n’acquièrent pas de compétences suffisantes en langue ou en mathématiques au terme du cursus d’enseignement primaire.

Comment et pourquoi le monde est-il confronté à des défis d’une telle ampleur en matière de qualité de l’apprentissage ? Et, que pouvons-nous faire pour y remédier ? Comment préparons-nous nos élèves/étudiants à devenir la main-d’œuvre de demain ? Que pouvons-nous faire différemment pour traduire la vision continentale des jeunes comme moteurs de l’innovation et de l’entreprenariat en Afrique ? À l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA), à l’Institut Results for Development (R4D) et à la Banque mondiale, ce sont quelques-unes des questions que nous nous sommes posées.

Le sous-investissement grave dans le partage des connaissances dans les domaines de l’éducation et des biens publics mondiaux (BPM) constitue l’une des causes de cette crise. Le rapport Learning Generation 2016 de la Commission de l’éducation a révélé que seulement 3% de l’ensemble de l’aide publique au développement allouée à l’éducation financent les BPM, contre 21% pour le secteur de la santé. Un nouveau rapport de la Commission de l’éducation, Teach For All, du Boston Consulting Group, de l’Asia Society, du Sommet mondial de l’innovation pour l’éducation (WISE) et de l’Institut R4D, intitulé Investing in Knowledge-Sharing to Advance SDG4 (Investir dans le partage du savoir pour faire progresser l’ODD 4) s’appuie sur ces travaux en mettant en exergue les critères pour orienter un investissement plus accru et de meilleure qualité dans un partage efficace des connaissances.

Lors du lancement du rapport Investing in Knowledge-Sharing à la fin du mois de septembre, la Fondation BHP, le Réseau Omidyar, la Commission de l’éducation et d’autres acteurs ont lancé un puissant appel à l’action pour s’intéresser, au-delà de l’investissement dans les innovations individuelles, aux biens publics mondiaux, au développement des capacités et aux réseaux – ou comme l’a dit un panéliste – au « tissu conjonctif et à l’environnement propice » nécessaires à la réalisation de progrès dans l’éducation. Quels sont donc les investissements nécessaires et où allons-nous maintenant ? 

Notre réponse : nous devons investir davantage dans la capacité des ministères de l’Éducation en tant que moyen à long terme et durable d’améliorer les résultats d’apprentissage. En Afrique subsaharienne, en particulier, de nombreux ministères de l’Éducation ont des résultats inégaux et fonctionnent avec des capacités limitées pour gérer des systèmes éducatifs vastes et complexes qui sont également décentralisés et fragmentés. La réalisation de progrès dans ces systèmes exige aussi bien le savoir-faire technique que des compétences générales nécessaires pour piloter, coordonner l’action et changer de cap, au besoin. Mais, les responsables du ministère ont du mal à réaliser l’alignement sur l’objectif d’apprentissage et ne peuvent pas traduire les politiques en actions. Les principales faiblesses de capacités du ministère ont trait notamment à la gestion de projets, à la mobilisation des principales parties prenantes et à la gestion des équipes et des talents, y compris à la formation des enseignants. L’appui au renforcement des capacités fourni aux ministères dans les pays africains a, par le passé, été inadapté à leurs besoins, pour plusieurs raisons.

Bien que le renforcement des capacités institutionnelles puisse être important à long terme, les ministères de l’Éducation consacrent souvent du temps, de l’énergie et les ressources limitées dont ils disposent à la réalisation d’objectifs à court terme. Nombre d’entre eux sont également confrontés à une culture administrative politisée et marquée par une faible obligation redditionnelle qui fait entrave à l’alignement sur l’apprentissage. L’appui aux capacités qui est effectivement fourni aux ministères l’est souvent par l’intermédiaire des donateurs et est étroitement lié aux objectifs des donateurs plutôt qu’aux besoins des ministères, et est axé sur le « contenu » des politiques plutôt que sur le « mode » de mise en œuvre.

Ce qui est peut-être plus frappant encore, c’est que s’il est vrai que les ministères de l’Éducation représentent une grande proportion des fonctionnaires et de la bureaucratie dans la plupart des pays, le renforcement de leurs capacités est cependant cruellement sous-financé par rapport à d’autres secteurs tels que les finances, l’économie, la santé et l’agriculture. Comme l’a déclaré l’UNESCO, le sous-investissement ne se limite pas aux données et à la recherche – en fait, les besoins de financement sont plus importants pour la fonction « d’appui technique soutenu aux pays afin de les aider à renforcer leurs capacités nationales, en particulier grâce à des mécanismes d’apprentissage entre pairs au niveau régional et des réseaux connexes ».

Malgré ces difficultés, de nombreuses personnes au sein des ministères de l’Éducation travaillent d’arrache-pied pour entreprendre des réformes axées sur l’apprentissage, comme en témoignent des points positifs, tels que l’amélioration des processus d’achat de supports didactiques au Mozambique, qui a permis de réduire de 17% les coûts unitaires de production des manuels scolaires entre 2011 et 2015, le programme national d’alphabétisation Tusome du Kenya, qui a amélioré les résultats en matière de lecture grâce à la formation en cours d’emploi des enseignants, et le projet SIMEN du Sénégal, qui a recours à un système informatique intégré pour améliorer la gestion du système éducatif du pays, encourager une utilisation généralisée des TIC en milieu scolaire et améliorer l’enseignement et l’apprentissage. Un soutien accru, mettant davantage l’accent sur l’alignement des politiques et des institutions, est nécessaire pour permettre aux ministères de l’Éducation de poursuivre des réformes similaires axées sur l’apprentissage.

Les fonctionnaires de l’éducation ont besoin d’un meilleur soutien et de moyens d’accélérer les progrès. Si nous espérons susciter un changement significatif, à l’échelle du système et en profondeur pour l’apprentissage, nous ne pouvons perpétuer le statu quo caractérisé par le sous-investissement et l’insuffisance du soutien du ministère de l’Éducation. Un nouveau modèle d’apprentissage entre pairs, de meilleure qualité, à plus long terme et piloté par les pays s’impose.

En gardant à l’esprit les critères d’Investissement dans le partage du savoir, l’ADEA, l’Institut R4D, la Banque mondiale et d’autres partenaires ont travaillé à la conception d’une nouvelle façon pour les ministères de partager leurs connaissances et d’accélérer la mise en œuvre des réformes, dénommée le Réseau du leadership pour l’administration et la prestation de services d’éducation, ou le réseau LEAD, en abrégé. Bien que les seize critères du rapport s’appliquent tous au LEAD, nous nous concentrons ci-dessous sur la façon dont les quatre premiers, axés sur le partage efficace des connaissances, guideront cette initiative.

Le réseau LEAD applique des critères pour un partage efficace des connaissances parce qu’il :

  1. INTÈGRE LES BIENS PUBLICS MONDIAUX, LE RENFORCEMENTDES CAPACITÉS ET LES RÉSEAUX POUR CRÉER DES SOLUTIONS RÉALISABLES ET UN IMPACT DURABLE.
    En tant que réseau axé sur le renforcement des capacités,ainsi que sur l’utilisation et la production de biens publics mondiaux, le réseau LEAD rassemblera des équipes de ministères de l’Éducation issues de différents pays pour apprendre les unes des autres et se soutenir mutuellement pour faire face en temps réel aux défis communs liés à la mise en œuvre sur leur chemin pour réaliser des progrès vers l’apprentissage. Le réseau LEAD tirera parti des biens publics mondiaux existants et en créera de nouveaux. Pour éclairer et contextualiser les défis des participants ainsi que les solutions potentielles, LEAD mettra à contribution les travaux de recherche, les connaissances et les outils existants – qu’il s’agisse de l’analyse du secteur de l’éducation, de la recherche portant sur les systèmes, ou de la synthèse de la recherche et des connaissances de base sur l’éducation en Afrique. En aidant les équipes ministérielles à mettre en exergue leurs propres expériences techniques, politiques et de gestion ainsi que les leçons apprises dans la gestion de ces défis, le réseau LEAD aidera à identifier et à diffuser les connaissances pratiques des praticiens et les solutions élaborées conjointement telles que les biens publics mondiaux.

  2. ACCÉLÉRERA LES PROGRÈS VERS L’APPRENTISSAGE EN CENTRANT LES PERSPECTIVES ET LES CONNAISSANCES TACITES DES FONCTIONNAIRES DU GOUVERNEMENT QUI SONT RESPONSABLES DES DÉFIS DE LA MISE EN ŒUVRE ET QUI SONT AUX PRISES AVEC CEUX-CI EN TEMPS RÉEL​.
    Pour élaborer un ensemble de solutions et d’outils pertinents pour les réformateurs de l’éducation, nous devons reconnaître l’expertise qu’ils possèdent déjàen matière d’élaboration des politiques, de contenu technique et d’administration des réformes de l’éducation, et cibler les lacunes relatives qui existent, par exemple en matière de gestion, de compétences générales et de mise en œuvre. Contrairement aux modèles traditionnels d’assistance technique assurée par navette aérienne et parce que les difficultés de mise en œuvre sont souvent d’ordre administratif et politique, l’approche d’apprentissage collaboratif de LEAD reconnaît que les équipes ministérielles sont elles-mêmes des experts qui sont les mieux placés pour définir et analyser les défis et y trouver des solutions. De cette façon, LEAD aidera les agents d’exécution des réformes de l’éducation à expliciter leurs connaissances tacites et mettre en exergue les connaissances pertinentes pour les réformateurs d’autres pays et, ce faisant, à créer des biens publics mondiaux.

  3. VISE À FAVORISER LE RENFORCEMENT DE L’ÉCOSYSTÈME DE L’ÉDUCATION EN S’APPUYANT SUR L’EXISTANT, EN PARTICULIER SUR LES EFFORTS DES PARTENAIRES RÉGIONAUX ET DES CENTRES DE RESSOURCES NATIONAUX.
    Plutôt que de créer des infrastructures éducatives parallèles ou concurrentes, le réseau LEAD s’appuiera sur les forums existants, y compris les Pôles de qualité inter-pays (PQIP) de l’ADEA, pour rassembler les équipes ministérielles. En tant que groupes d’apprentissage entre pairs et inter-pays qui renforcent les capacités, les PQIP rassemblent des équipes ministérielles, des praticiens et des acteurs du développement de tout le continent pour échanger des connaissances, les meilleures pratiques en matière de politiques éducatives et les défis communs de mise en œuvre. Les PQIP existants de l’ADEA qui se concentrent sur des sujets tels que l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation, l’alphabétisation et les langues nationales, le développement des compétences techniques et professionnelles, l’enseignement des mathématiques et des sciences, et bien d’autres sujets, sont logés dans des ministères, dans des centres nationaux et des institutions (comme, par exemple, le CEMASTEA au Kenya). Le réseau LEAD pourrait également compléter d’autres initiatives et collaborer avec elles. Citons à cet effet les travaux de la Commission de l’éducation visant à renforcer les effectifs de l’éducation et à améliorer la prestation de services d’éducation, et l’initiative du Partenariat mondial pour l’éducation visant à renforcer les systèmes éducatifs nationaux par l’échange de connaissances et l’innovation. En apportant une approche d’apprentissage entre pairs et d’apprentissage collaboratif dans les partenariats et les forums qui sont déjà pilotés et contrôlés par les pays, le réseau LEAD aidera à renforcer l’architecture régionale et mondiale existante de l’éducation.

  4. EST CONÇU DANS UNE PERSPECTIVE DE TEMPS SUFFISAMMENT LONGPOUR PERMETTRE AUX PAYS DE RÉALISER DES PROGRÈS DANS LA MISE EN ŒUVRE DES RÉFORMES ET L’AMÉLIORATION DES RÉSULTATS DE L’APPRENTISSAGE.Les efforts traditionnels de renforcement des capacités ont, par le passé, recherché des solutions à court terme à ce qui est fondamentalement un défi à long terme de renforcement durable des ministères de l’Éducation. L’expérience des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire très performants montre qu’en se concentrant de manière soutenue sur quelques domaines clés de réforme, l’on peut réduire au minimum le fardeau qui pèse sur les organismes aux capacités limitées, leur permettant ainsi d’apprendre par la pratique et de réaliser des gains substantiels. Pareillement au rôle que joue le Réseau d’apprentissage conjoint pour la couverture universelle en matière de soins de santé mis en place il y a de cela dix ans dans le secteur de la santé, le réseau LEAD vise à fournir aux ministères de l’Éducation un soutien à long terme, axé sur les pays et systémique, plutôt qu’à court terme, axé sur les donateurs et au coup par coup. Et à l’instar du Réseau conjoint d’apprentissage (JLN), le réseau LEAD n’augmentera sa base de membres et ses activités qu’en fonction de la demande des pays. Afin d’assurer un calendrier adéquat pour aller de l’avant dans l’identification des défis communs, la création de solutions, ainsi que l’adaptation et la mise en œuvre de ces solutions dans le pays, LEAD se dotera d’un calendrier de trois ans pour les investissements et pour mesurer les progrès par rapport à un programme d’apprentissage fixé par les ministères participants.

Pour réaliser des progrès par rapport à la crise de l’apprentissage, il est clair que nous avons besoin d’un changement de paradigme pour relever les défis existant de longue date dans le secteur de l’éducation. Les critères énoncés dans Investir dans le partage du savoir pour faire progresser l’ODD 4 ont éclairé notre réflexion au moment où nous concevions le réseau LEAD comme une nouvelle façon de relever ces défis. Alors que nous continuons à développer cette approche pour soutenir les ministères de l’Éducation, nous vous invitons à nous faire part de vos réflexions et suggestions ainsi qu’à vous engager dans les commentaires  ci-dessous.

Pour en savoir plus sur le réseau LEAD, veuillez contacter Tarek Chehidi (tchehidi@r4d.org), Shem Bodo (s.bodo@afdb.org), Caitlin Moss (cmoss@r4d.org) et Raky Gassama (r.gassamacoly@afdb.org).